C’est toujours la grande maison du cœur de Strasbourg avec son service de classe, sa cave immense, sa cuisine au petit point, ses salles cossues, la vaste salle à manger avec sa fresque paysanne géante, ses petits salons du premier. Gilbert Mestrallet, 42 ans de maison et un titre de meilleur sommelier de France, assure la pérennité du lieu, tandis que le jeune Ludovic Kientz, formé ici à l’ère Jung, maintient le bon tempo classico-moderne qui sied si bien à la demeure.
Philippe Bohrer, qui a le don pour cumuler les affaires, sans perdre le sens du bon gout (il possède toujours son étoile à Rouffach, possède des Tables de Louise à Colmar, Strasbourg et Rixheim, a racheté Jules à Zimmersheim, vendant le fonds à une équipe italienne de talent) a su ici déléguer. De fait, tout ce qui se propose là en ce moment flirte avec les sommets. Mes compagnons de table – Patrice Carmouze et son acolyte de « A la bonne heure » de RTL, Régis Mailhot -étaient estomaqués d’apprendre que le Michelin ne donne qu’une seule étoile à cette maison qui en vaut au moins deux.
Des exemples ? Le foie gras poêlé avec sa choucroute imaginaire, son écume de genièvre, ses fines prunelles en vinaigrettes, les grenouilles en jambonnettes aux orties avec leurs maltascha (raviolis locaux) à la livèche, les splendides exercices sur le gibier (chevreuil en aigre doux à la feuille de datte Medjoul, lièvre en deux services, dont une panée en fine viennoise d’écorce d’orange, l’autre façon royale), le superbe mariage rustico-raffiné de la crépinette de pied de porc désossé à la truffe et au foie gras avec ses galettes de pommes darphin. Sur lesquels muscat de Pfaffenheim, clos Saint-Hune 2006 de Trimbach ou nuits saint georges les Porrets d’Henri Gouges 1978 font des accords admirables.
Les desserts (opéra café avec sa coque chocolatée façon peau de crocodile, « retour de vendange » avec sorbet au muscat avec crémeux de noix et mascarpone au thé fumé ou encore truffe chocolatée glacée) jouent la tradition unie à la création : voilà une grande maison au fait de son sujet.
Par Gilles Pudlowski